Quels jeux de tradition pour le XXIème siècle en Europe?par Guy Jaouen / président AEJST |
Dix années après le colloque européen de 1990 en Bretagne, et le grand rassemblement de jeux traditionnels de Carhaix, il était important de refaire le point sur la situation des Jeux et Sports traditionnels en Europe.
I - MotivationsDe nombreuses rencontres et colloques sur le thème des Jeux populaires ont eu lieu un peu partout en Europe depuis le début des années 90. D'autres manifestations ont traité des jeux populaires dans leur globalité. En voici les exemples connus.
De nouvelles circulaires ministérielles ont vu le jour en France et en Espagne par exemple, entraînant un changement d'attitude du corps enseignant sur l'utilisation pédagogiques des jeux populaires, même si la force de l'habitude fait que cela reste encore trop soumis à des initiatives individuelles. Il faut en particulier souligner le travail remarquable que l'on a vu se développer dans certaines régions autonomes d'Espagne. Des instances internationales ont pris, en général après un travail avec les différents relais représentant les jeux populaires, des directives ou orientations intéressantes et importantes :
De nombreuses expériences, en relation avec le monde scolaire ont vu le jour (Bretagne, Picardie, Aveyron, Danemark, Val D'Aoste, plusieurs régions d'Espagne, etc.). Suite à ces expérimentations nécessaires, de nombreuses questions et suggestions étaient formulées par les enseignants pour savoir comment, et jusqu'où, les jeux populaires pouvaient s'adapter pour accompagner une démarche pédagogique alternative de redécouverte des jeux à l'école. Des associations, anciennes ou nouvelles, ont utilisé ces changements structurels pour se lancer dans l'aventure d'une activité (professionnelle ou non) dans le domaine de l'animation par les jeux en général, complétant ainsi un réseau de plus en plus solide : Dans le même temps, le monde a très vite changé. Comme nous le disions en 90, nous étions à la fin d'une étape, à un tournant de nos sociétés, avec tous les défis que cela sous entend. Le phénomène de la mondialisation économique, par exemple, entraînant avec elle une tentative de mondialisation culturelle, a mis sur le devant de la scène des erreurs sociétales que nous dénoncions. Comment ne pas comprendre alors, qu'au fur et à mesure que l'éloignement des décisions économiques s'accentue, les citoyens-électeurs que nous sommes, n'en vienne aussi à réclamer en contre partie des dispositifs donnant plus de décisions politiques de proximité. Cela joue en faveur de la démocratie locale, et donc aussi en faveur des pratiques identitaires autochtones.
II - Les Jeux Populaires et la DémocratieLe monde va de plus en plus vite aujourd'hui. Les questions fondamentales concernant les choix de société ne sont cependant pas toujours posées comme il le faudrait, c'est à dire avant les expérimentations, mais bien souvent après que nous ayons été mis devant le fait accompli. Depuis l'avènement de la société industrielle, de nombreux jeux traditionnels ont été transformés, d'abord en pratiques très codifiées et réglementées, les sports, puis certains de ces sports en activité de spectacle professionnel . Ainsi au cours du 20 ème siècle le modèle olympique a été imposé par les instances étatiques officielles comme lieu de consécration du sport et des grandes valeurs humaines qu'il était censé véhiculer pour un monde meilleur. Avec le recul, il est vrai que le modèle du sport olympique a permis un brassage mondial d'une élite sportive, et des affairistes. Il a ainsi accentué la standardisation et la sportification de la pratique, avec la mise en avant des records et de l'utilisation commerciale de l'émotion. Cependant, après réflexion sur les notions de "plus haut, plus loin, plus fort", ne peut-on pas affirmer que l'image actuelle de ces valeurs contient également des germes de non tolérance, de non convivialité et d'arrogance, créant ainsi de nouveaux couloirs d'incompréhension pour la masse des pratiquants, particulièrement les enfants. Pendant ce temps, les camps retranchés, ou les mouroirs, dans lesquels la plupart des états européens - sauf l'Irlande sans doute (1) - avaient mis ou laissé les autres jeux traditionnels, avaient créé un esprit fataliste qui ne laissait entrevoir aucun avenir pour ces activités ludiques. La seule ouverture proposée aux pratiquants des sports non institutionnels fut d'ailleurs pendant longtemps l'assimilation à une discipline olympique de famille voisine. La situation humiliante, où les joueurs devaient s'identifier au dominant, est un exemple type d'aliénation de la personne. Pourtant cette action de "formatage" , par l'effacement artificiel de la mémoire et l'histoire, avait des effets pervers, contraire à l'intérêt général puisqu'en asservissant, l'on élimine aussi les facultés d'inventivité et d'ingéniosité pour mettre en place un système d'assistanat. L'on peut d'ailleurs élargir cette réflexion à l'ensemble d'un groupe de population : autrefois, les enfants créaient, inventaient leurs jouets, avec des influences externes bien sûr; aujourd'hui l'enfant subit l'offre commerciale qui crée la demande. Les jeux traditionnels peuvent être comparés à des espaces de liberté où les enfants aménagent, modifient, réinventent les jeux des adultes. Dans les sports d'aujourd'hui, réglementés, cadrés, l'enfant est contraint de s'ajuster aux normes imposées sans trouver le même espace de liberté pour son imagination. Ceci peut expliquer la mobilisation de son énergie dans des recherches de transgression des règles. Les jeux traditionnels régionaux, au même titre que de nombreux éléments de la culture populaire : langue, culture culinaire, culture vestimentaire, musique, danse, arts, etc, sont parmi les éléments qui peuvent servir de clignotants démocratiques à une société. Saurons-nous mettre en avant nos valeurs devant l'uniformisation culturelle ?
III - La reconquête des jeux du patrimoineEn nous réunissant à Plouguerneau, au bord de l'océan atlantique, soit au "bout du monde" - Penn ar Bed - (le nom du département Finistère en langue bretonne), nous avions choisi un lieu symbolique. Ce lieu symbolise à la fois l'enracinement culturel des gens pour leur terre, et aussi en même temps le désir, l'envie d'ouverture et de connaissance des autres cultures. Des dictons existent dans toutes les langues pour refléter cet attachement aux racines, un seul suffit sans doute car il est suffisamment clair " Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient ". Le Docteur Cotonnec, fondateur de la FALSAB en 1930 avait choisi un deuxième " An dazont zo etre daouarn ar yaouankiz, ha savet vez war diazezoù an amzer dremenet ! " (l'avenir appartient à la jeunesse, et se construit avec le passé comme fondement !)
IV - Conclusion Comme en 1990 où nous avions décidé de travailler en réseau pour échanger nos expériences, nos informations, pour aussi mettre en commun nos forces lors d'organisation d'actions communes, l'avenir d'une solution alternative par les jeux traditionnels à l'école se trouve dans l'extension de ce réseau, et la création de multiples sous réseaux.
Ce livre donnera aux lecteurs des exemples concrets de ce qui s'est déjà fait dans différents pays ou régions, pour bien montrer qu'il est possible de réinscrire dans nos collectivités ces dispositifs culturels et éducatifs. Son ambition est de multiplier les initiatives et les critiques, au profit d'une réflexion plus globale, avec un champ de vision beaucoup plus élargi, sur la manière dont l'éducation populaire se voit proposée aux adultes de demain.
(1) La G.A.A., Gaelic Athletic Association est aujourd'hui la plus grosse organisation de masse en Irlande avec près de 3000 clubs. Elle regroupe environ 800 000 membres, soit presque 25 % des habitants (310 000 licenciés et 230 000 non licenciés en 1984) dans les disciplines suivantes : Hurling, Camogie (le Hurling au féminin), Foot bal Gaëlique, Hand ball (similaire à la pelote basque) et Rounders (l'origine du Base Ball américain). |